30/01/2013
Programme
8h30-9h15 – Introduction
- Philippe Viallon, Chef du Département Information-Communication, IUT Robert Schuman
- Nicole Poteaux, Directrice du Collégium Education-Formation, Université de Strasbourg
- Sophie Kennel, Chargée de mission Réussite et Ascension sociale, IUT Robert Schuman
- Patricia Caillé, Maîtresse de conférences, IUT Robert Schuman et Nassira Hedjerassi, Professeur, Cerep EA 4692, Université de Reims
9h15-10h - Les manières de se socialiser et d’étudier à l’université, une question de genre ? Une relecture d’un matériau empirique issu d’une recherche sur l’expérience étudiante
- Aziz Jellab, Inspecteur général de l’Education nationale, Chercheur au CERIES, université Lille 3
On ne comptait que 3% de femmes dans les universités françaises en 1900. Ce pourcentage passe au tiers au milieu des années 50, à 40% dans les années 60 pour dépasser les 50% aujourd’hui. Elles restent néanmoins sous-représentées dans les filières scientifiques alors même que leur réussite est meilleure dans toutes les disciplines. Les garçons sont surreprésentés dans les filières scientifiques et dans les troisièmes cycles. Plus « studieuses » et mieux « organisées », les étudiantes réussissent mieux que les étudiants notamment dans les filières de masse (les différences sont moins visibles dans les formations sélectives telles les CPGE et la médecine, l’origine sociale favorisée rapproche les pratiques scolaires chez les deux sexes). La meilleure réussite des filles doit à leur mode d’appropriation des savoirs et à leurs manières de se préparer aux différentes épreuves scolaires. Les analyses sociologiques dont on dispose oscillent entre un regard déterministe, faisant la part belle à la reproduction sociale des dispositions – les filles réussiraient mieux parce qu’elles ont intériorisé une posture donnant le primat au conformisme et aux pratiques langagières – et une optique plus active – conscientes de l’importance de l’école pour s’émanciper, les filles s’y mobiliseraient fortement – sans que l’on puisse néanmoins opposer fondamentalement ces deux analyses. Alain Frickey et Jean-Luc Primon observent que « les modes de gestion du temps et les rythmes de travail en première année d’université ainsi que les manières de préparer les examens sont très marqués sexuellement » (2002). Ainsi, se pencher sur le travail universitaire des étudiants, analyser au plus près les manières dont ils effectuent leur socialisation scolaire, où l’absence de contrôle institutionnel les oblige à inventer par eux-mêmes des stratégies d’organisation et d’apprentissage, s’avèrent être heuristiquement pertinents. En effet, si les différences de réussite doivent à l’origine sociale et au parcours scolaire antérieur, elles sont aussi liées aux manières sexuellement différenciées de se mobiliser sur les savoirs, sur fond d’une maîtrise variée des règles du jeu qui sont plus ou moins implicites au sein de l’université.
Le propos de la communication consiste à présenter les résultats d’une recherche menée auprès d’étudiants de Licence et de Master (au sein de trois filières à dominante littéraire) en les repensant à l’aune de la question du genre. Si l’on observe des similitudes entre étudiantes et étudiants quant à la difficulté à s’affilier aux études et aux rythmes scolaires, on relève également des différences. Celles-ci sont perceptibles lorsqu’il s’agit d’interroger la manière dont les étudiants articulent les trois dimensions fondamentales que sont la socialisation universitaire, le projet (et les manières) d’apprendre et les projets d’avenir. Si les étudiantes parviennent à établir un équilibre et une cohérence entre ces trois dimensions, elles doutent davantage de leurs capacités à transformer une réussite scolaire en une réussite sociale. On peut alors formuler la question suivante : à quelles conditions la réussite scolaire des étudiantes peut-elle contribuer à permettre aux filles la possibilité d’une émancipation sociale ?
10h-10h45 - Les inégalités de genre et la manière d'étudier dans l'enseignement supérieur
- Saeed Paivandi, Professeur en Sciences de l’Education, Université de Lorraine/LISEC
La massification de l'enseignement supérieur et la diversification notable des filières d'études laissent supposer que les manières d'être étudiant sont très différentes les unes des autres. Si on se réfère aux enquêtes triennales de l'Observatoire de la vie étudiante – national (OVE), l'investissement studieux et la mobilisation intellectuelle constituent une variable discriminante à l'origine d'une importante différenciation des sous-populations étudiantes selon la filière d'études. Etre dans les différents types d'études signifie qu'on ne vit pas les mêmes conditions d'études et les mêmes contextes pédagogiques. Le degré d'ascétisme scolaire est très lié au contexte et à l'organisation de la filière d'études. L'expérience étudiante ne peut pas être examinée sans prendre en compte l'organisation pédagogique et l'univers social de sa filière d'études. Les étudiants tendent à vivre une socialisation « silencieuse » (Lahire, 2000), à géométrie variable, et une diversité notable des situations et des conditions d'études. Apprendre son métier d'étudiant (Coulon, 1997), signifie endosser des attitudes et poser des actes qui peuvent entrer en conflit avec les normes et les valeurs du monde d’origine. Il s’agit d'intérioriser des sous-cultures disciplinaires constituées aussi d’implicites, auxquels l’étudiant se socialise par imprégnation dans l’environnement humain, pédagogique, et intellectuel tout en construisant une nouvelle identité, en assimilant les normes et les valeurs du monde académique en général et de sa filière d’études en particulier. Si les étudiants se démarquent les uns des autres, ce n'est pas seulement parce qu'ils étaient différents à l'entrée de l'enseignement supérieur, mais aussi parce qu’ils se sont transformés au cours des processus de socialisation (Paivandi, 2011). On cherche ici à savoir si les filles et les garçons vivent de la même manière l'investissement studieux et la mobilisation intellectuelle durant leur parcours dans l'enseignement supérieur. Existe-t-il une manière d'être-étudiant ou une manière d'étudier féminine et masculine? Peut-on parler des trajectoires d'apprenant sexuées au sein des différentes filières d'études?
La présentation s'appuie sur les données de la dernière enquête de l'OVE (33009 étudiants) effectuées en 2010 dans tous les secteurs de l'enseignement supérieur en France (Université, STS, CPGE, IUT, les écoles spécialisées, les Grandes Ecoles). Il s'agit d'examiner les résultats des questions relatives aux pratiques d'études en prenant en compte la question de genre.
10h45-11h15 – Pause Café
11h15-12h - « J’avais eu des échos comme quoi vous étiez très strict » La scolarisation des seconds cycles universitaires comme attente pédagogique spécifique.
- Cédric Hugrée, Chercheur au CNRS, Cresppa-Équipe CSU
L’enquête quantitative sur les manières d’étudier réalisée à Nice par Alain Frickey et Jean-Luc Primon et son exploitation dans le cadre d’une réflexion sur le genre des manières de travailler à l’université a montré l’intérêt à articuler les variables les plus traditionnelles de la sociologie aux pratiques de travail des étudiants en premier cycle. Ces auteurs remarquaient notamment qu’un des ressorts des meilleures scolarités féminines dans les premiers temps à l’université était une organisation plus efficiente et plus régulière dans le temps de leur travail universitaire de même que des prises de notes intégrales plus fréquentes. Pour autant, les auteurs nuançaient le schéma de la bonne volonté scolaire des filles fondée sur une « valeur positive[…]attribuée non pas seulement aux résultats ou aux performances réalisés mais aussi aux actes et aux pratiques qui les génèrent. »(2002, p. 80) Ils plaidaient au contraire pour l’hypothèse d’un « effet propre ou spécifique de la socialisation scolaire […] fondé sur un curriculum caché », qui, par l’intermédiaire d’une action pédagogique reproduirait « les catégorisations de sexe et le stéréotypage. »(Ibid., p. 81-82)Incontestablement, les réflexions sur les manières de travailler à l’université engagent à combiner les constats quantitatifs aux observations ethnographiques des pratiques étudiantes… mais aussi enseignantes.
L’intérêt de l’enquête de Mathias Millet est alors de montrer comment des filières universitaires constituent de véritables matrices disciplinaires structurant, par leurs propres organisations des savoirs et leurs rapports pédagogiques, les pratiques étudiantes d’appropriation des savoirs enseignés, leurs emplois du temps, leurs formes de lectures et d’écriture et participent par ce biais au renforcement des inégalités de parcours et d’origine à l’intérieur de l’université. Et si l’enquête de Mathias Millet oppose les logiques sociales, scolaires et cognitives de la médecine à celle de la sociologie, l’enquête de Valérie Montfort sur les pratiques de travail des étudiants de sciences révèle que la plupart des « lycéens scientifiques qui ont connu une carrière scolaire sans accidents de parcours […] adoptenten définitive la norme de travail la plus basse que leur propose l’institution. »(2000, p. 74) Pour cet auteur, seule l’observation régulière et sur la durée permet de « contourner les stratégies de dissimulation » des étudiants et de leur(s) (absence de) pratiques de travail. C’est finalement dans cette optique qu’on peut lire les textes de Charles Soulié et de Stéphane Beaud. Le premier insiste sur le fait que « le libéralisme pédagogique et l’anomie institutionnelle désavantage de façon notable les étudiants les plus dominés » (2002, p. 35). Il plaide ainsi pour une forme de « « rescolarisation » des cursus, et l’instauration de cadres temporels à la fois plus enveloppants et plus contraignants » (Ibid., p. 35) au sein des filières ayant accueilli les « nouveaux étudiants ». Le second revient sur les difficultés à encadrer les premiers travaux de recherche en maîtrise de sociologie : « bon nombre d’étudiants sont des homologues parfaits de « mes » enquêtés, si ce n’est que ce sont majoritairement des filles « Vendéen(ne)s » ou « Nazairien(ne)s » depuis des générations. » (2006, p. 330) L’auteur caractérise alors en ces termes, une partie du public de maîtrise de sociologie : « très volatil, suivant les cours par intermittence », « ces étudiants de maîtrise sont d’origine populaire et restent peu acculturés à la vie universitaire », « ils ont un rapport compliqué à la culture, notamment un rapport souvent difficile à la lecture, très marqués par de mauvais souvenirs d’école » et « beaucoup n’ont pas réussi à surmonter leurs difficultés à lire. » (Ibid., p. 331)
En me donnant la possibilité d’encadrer des travaux de recherche d’étudiants de Master lors de ma dernière année d’enseignement (Ater) à l’université de Nantes, le département de sciences de l’éducation m’a aussi offert la possibilité de comprendre les fondements des remarques de Charles Soulié et la véracité des portraits d’étudiants dressés par Stéphane Beaud. Pourtant, les deux cas de Yasmina et Delphine, présentés dans cette intervention de façon parallèle, permettent d’entrevoir des formes de relatives réussites de mémoire de recherche qui prolongent la réflexion sur la fabrique de l’honorabilité scolaire en milieux populaires et l’hypothèse d’une socialisation universitaire inachevée. Les résultats des exploitations secondaires d’enquêtes statistiques permettent de présenter la licence comme une véritable barrière scolaire pour les dernières cohortes populaires. Mais, l’observation participante de l’encadrement de ces premiers travaux de recherche de deux anciennes bachelières littéraires « à l’heure mais non mentionnées » et d’origine populaire, constitue ici une occasion opportune d’observer la réussite relative de cet exercice universitaire sans la réduire à la seule baisse des réquisits d’une filière dominée dans l’espace universitaire, pas plus d’ailleurs qu’à la seule logique instrumentale d’accès à un diplôme de second cycle de ces « nouveaux étudiants ». Au contraire, la réussite relative de leur premier écrit de recherche doit se lire comme le produit d’une relation pédagogique particulière engageant un jeune enseignant surinvestissant une nouvelle dimension de son travail (vécue sur le mode de la promotion/évaluation par ses pairs) à des étudiantes disposées, par leur parcours antérieur et le sens qu’elles lui attribuait, à attendreune forme de scolarisation de cet exercice pourtant académique et universitaire.
12h-12h30 - Quels sont les enjeux du genre aujourd'hui ?
- Nassira Hedjerassi, Professeure, Cerep EA 4692, Université de Reims
Discussion à la suite des interventions
12h30-14h15 – Déjeuner
14h15-15h - Salariat étudiant et féminisation de l’enseignement supérieur
- Vanessa Pinto, Maîtresse de conférence, Cerep EA 4692, Université de Reims
Parmi les étudiants exerçant une activité rémunérée à côté de leurs études, les filles sont surreprésentées : selon l’enquête de l’Observatoire national de la Vie Étudiante de 2006, 60 % des étudiants de moins de 30 ans actifs en cours d’année universitaire sont des filles (alors qu’elles représentent 55 % de l’ensemble des étudiants) ; vu sous un autre angle, près de 50 % des filles contre 41 % des garçons de moins de 30 ans exercent une activité rémunérée en cours d’année. De fait, les filières d’études où le taux d’emploi est le plus élevé sont également les plus féminisées : ainsi, les disciplines de lettres et de sciences humaines et sociales, qui comptent 73 % de filles, présentent aussi le taux d’emploi le plus important. Qui plus est, elles bénéficient moins souvent que les garçons d’activités intégrées à leur cursus et sont donc plus souvent exposées qu’eux à l’exercice d’un travail concurrent des études. L’enquête ethnographique permet alors d’éclairer cette distribution différenciée en révélant une dimension fondamentale, celle qui tient à la définition des rôles sociaux et des âges de la vie selon le genre et selon les milieux sociaux. En outre, à partir d’enquêtes par observation participante au sein d’entreprises ou de structures employant des étudiants, nous verrons que les compétences requises varient en fonction du sexe des étudiants recrutés et, qu’à ce titre, ces « petits boulots » représentent une forme d’initiation à la division sexuelle du travail.
15h-15h45 – Le genre et la construction de l’identité professionnelle dans le milieu de l'ingénierie
- Biljana Stevanovic, Docteure en sciences de l’éducation et chercheure associée au CERSE à l’université de Caen Basse-Normandie
En s'appuyant sur les enquêtes « Premier Emploi » réalisées en 2008 six mois après l'obtention de diplôme auprès de la promotion 2007 et les entretiens semi-directifs, cette communication a pour objectif d'étudier la construction de l’identité professionnelle des femmes et des hommes diplômé-e-s de l'EPF-Ecole d'ingénieurs dans la période de l'insertion professionnelle. L’analyse des résultats permet de conclure que les femmes ingénieurs diplômées de l'EPF ont une insertion professionnelle globalement plus favorable que les hommes diplômés de la même école en termes de rapidité d'insertion, de chômage, d'accès au statut de cadre et de part en CDI. Cependant, les femmes diplômées de cette école n'échappent pas à la ségrégation liée à l'accès aux postes de responsabilités, ou aux stéréotypes liés à l'articulation travail-famille.
15h45-16h Pause Café
16h-16h45 – Table-Ronde : Les filles et l'injonction de la professionnalisation
- Modération : Julien Haristoy, chef du département Informatique, IUT Robert Schuman
Muriel Frare, chef de projet, Peugeot-Mulhouse
Stéphanie Lutz, Cadre RH chez Liebherr
Emmanuel Percq, chef des Services académiques d'information et d'orientation, Académie de Strasbourg
Katia Beck, formatrice, Chambre de Commerce et d’Industrie de Strasbourg
Caroline Ertz, étudiante en LP Miden, IUT Robert Schuman
La répartition des étudiants par sexe et discipline à l'Université montre, sans surprise, que les filles sont nettement majoritaires, autour de 70%, dans les études littéraires et linguistiques, les arts, les sciences humaines et sociales, et que la proportion s'inverse dans les sciences dites fondamentales. Cette répartition semble calquée sur la répartition des sexes selon les secteurs d'activité, tertiaire ou secondaire. Dans les filières professionnalisantes, telles celles portées par les IUT, la répartition par sexe en fonction du caractère tertiaire/secondaire des formations suit des déterminations analogues, parfois jusqu'à la caricature. Au-delà du constat, il est difficile de déterminer si l'enseignement supérieur, qui affiche aujourd'hui sa mission d'insertion professionnelle, est un acteur du conservatisme des représentations en termes de genre et de profession, ou le simple reflet des représentations sociales majoritaires. Mais, au fait, les déséquilibres de représentation des sexes dans l'enseignement supérieur constituent-ils réellement un problème ? Et si oui, pour qui ? Pour la société, ou pour le monde économique ? Pour les filles, ou pour les garçons ? Cela doit-il relever de la mission des établissements d'enseignement supérieur de corriger cet état de fait ?
16h45-17h30 – Table Ronde : L'ascenseur social dans le supérieur à l'aune du genre ?
- Modération : Nicole Poteaux, Directrice du Collégium Education-Formation, Université de Strasbourg
Anne-France DELANNAY, responsable du Dispositif Egalité des Chances - IEPEI, Institut d'Etudes Politiques de Strasbourg
Christophe Karst, principal adjoint, collège du Stockfeld de Strasbourg
Anne Schnepp, étudiante et apprentie en Master 1, Ecole de Management de Strasbourg
Sophie Kennel, chargée de mission Réussite et Ascension sociale, IUT R. Schuman
De nombreux dispositifs existent, qui ont pour ambition de faciliter l’ascension sociale des jeunes par l’accès aux filières post-baccalauréat et aux diplômes. Ces politiques, comme les cordées de la réussite, visent en particulier la démocratisation des filières d’excellence. Si les filles, dans leur ensemble, réussissent mieux à l'université, quelle est la place des celles qui sont issues de contextes moins favorisés ? Comment profitent-elles des actions mises en œuvre ? Au-delà de l’analyse des indicateurs statistiques, il est intéressant de questionner l’expérience telle qu’elle peut être vécue par les étudiantes, de confronter les représentations. Comprendre comment opère le genre dans les bilans des politiques menées localement en faveur de l’accès aux études supérieures devra également permettre d’enrichir le débat sur les filles à l’université.
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